Le ravin de la Mina.
Avec les jours qui passent, notre soif de découvertes augmentait. Les rues Bernardin et Damrémont commençaient à être trop petites. Il existait deux lieues qui nous intriguaient.
Tout d'abord une zone en friche, au prolongement du boulevard Front de mer, un terrain vague en pente parfois très abrupte qui descendait jusqu'à la route du port. Ce jour là, on avait décidé d'aller explorer ce terrain.
Assez brutalement le ciel s'était assombri, le vent s'était levé avec une vitesse incroyable, il faisait presque nuit, un immense éclair zébra le ciel. Le tonnerre qui lui succéda fit vibrer toute la rue.
D'énormes gouttes de pluie commençaient à claquer sur le sol, la pluie devenait drue, un vrai rideau épais, en un clin d'œil la rue s'était transformée en rivière, les gens couraient se mettre à l'abri sous les arcades de la rue d'Arzew.
Nous étions trempés et pourtant on n'était pas resté sous la pluie, le temps de faire vingt mètres et nous voilà mouillés comme une soupe.
Cette pluie avait fait du bien car depuis quelques jours c'était une étouffante chaleur torride.
Petit à petit les roulements de tonnerres s'étaient estompés et éloignés, le soleil était revenu, la chaussée fumait sous l'effet de la chaleur.
Une palissade existait et pour découvrir l'autre côté de la palissade, j'étais monté sur les épaules de François-Lou et après avoir fait cabessica (le guet), j'avais passé entièrement ma tête au -dessus de la palissade.
Le terrain était un peu apocalyptique, tout était gris blanc, sauf les ferrailles noires en forme de cannes qui émergeaient des trous d'eau. Le passage d'engins pour faire les trous avait tout saccagé, il n'y avait guère de trace de verdure.
Le chantier avait commencé, les fondations étaient coulées.
- y a du monde ?
- walou .....
- même pas un garde ?
- re-walou ........
Ah ! Le garde si moi je ne m'en rappelle pas, mes fesses s'en souviennent.
Aux quatre Chemins entre saint Eugène et Dar Beïda il y avait une route bordée de magnifiques mûriers. A l'époque des vers à soie, à la fin du printemps, on montait aux quatre chemins et c'est vrai que l'on massacrait un peu ces pauvres mûriers. Mais les vers à soie étaient très délicats, ils n'aimaient pas la salade, ils n'aimaient que les feuilles de mûrier.
Alors si tu voulais avoir de beaux cocons dans ta boîte de souliers il fallait des feuilles de mûrier. Tu pouvais les acheter, face à l'école Jules Renard le marchand de bonbons te vendait des feuilles de mûrier mais elles valaient le gusto et la gana (assez chères), du moins pour nos bourses plates.
Le jeudi matin nous allions faire une razzia aux quatre chemins, nous mettions de coté la consommation de nos vers à soie, et l'après midi à la sortie du studio des jeunes, nous gagnions vite et bien notre vie.
Mais voilà un jeudi matin juste à la fin de la récolte, j'étais sur un arbre et je voyais les copains détaller
- Le garde, Jacky, taillo…(sauves-toi)
Au moment où j'avais atteint le sol, j'avais reçu un gros coup de pied au cul !
Une source d'eau claire coulait doucement, elle avait le mérite d'être si claire au milieu d'une décharge sauvage qui venait enlaidir ce joli petit coin.
Nous avions du mal à garder l'équilibre et nous nous retrouvions souvent sur les fesses, mais comme nous étions décidés d'explorer ce lieu rien ne pouvait nous arrêter.
Tout à coup un cri, Marcel était tombé dans un des trous de fondation. Heureusement, il avait pu s'agripper à une des ferrailles. Nous nous étions précipités pour le sortir de ce bourbier, il était enduit des pieds à la tête d'un coulis d'argile. Il était tout tremblant, pas de froid, mais il avait eu très peur, seul il aurait pu se noyer. Nous étions en quelque sorte des héros.
- - Allez ouste à la source ! Il faut te rincer et avec la chaleur tu seras vite sec
- Et doucement parce que ça glisse
- Purée tché , on n'a même pas pu aller plus loin
Avec des vieux chiffons ramassés sur place et rincés dans la source, nous lui avions refait une beauté.
- Maintenant c'est sur Marcel n'aura pas de problème de rhumatisme, et dire qu'il y en a qui payent pour faire ça, tu te rends compte de la chance que tu as !
Sur le chemin du retour, on parlait de nos exploits quand tout à coup Ouafi éclata d'un rire dont il avait le secret, il nous montrait du doigt Marcel sans pouvoir parler tellement il riait, Marcel s'était statufié. C'est vrai qu'il ressemblait à une véritable statue, la glaise avait complètement séchée et à chacun de ses pas la glaise sèche tombait sur le sol.
Des calbottes (gifles) avaient plu ce jour là sur Marcel en rentant chez lui.