Jour de fête nationale.
Nous étions nés les pieds dans l'eau et la tête au soleil. Car c'était cela Oran, la mer et le soleil, rien que cela avec en plus, le blanc des maisons, ces odeurs qui flottaient partout. C'était beau Oran, pour sûr que c'était beau. Les rues qui grimpaient jusqu'au ciel, les gens heureux qui n'arrêtaient pas de parler, les Arabes en burnous, en djellabas, et les filles bronzées toujours belles. J'ai connu ça, j'ai aimé tout ça. C'était mon pays.
Mes parents nous avaient fait un joli petit foyer. Nous n'avions pas de compte en banque mais, le soleil aidant, nous étions heureux. Et le soleil, il était là toute l'année. En le quittant le soir, on savait que le lendemain il serait à son poste, tout rond, tout jaune, chaud, éblouissant.
A cet âge, on vivait notre enfance pleinement. Nos parents nous avaient transmis une joie de vivre. Nos cœurs battaient au rythme des évènements.
Le 14 juillet, c'était le grand défilé au boulevard Front de mer. Toutes les troupes de l'armée française défilaient : les zouaves, les tirailleurs, les spahis, les marins, etc …. Et surtout la légion fierté de tout un peuple.
Les légionnaires défilaient lentement et ils chantaient avec leurs voix graves :
« Un légionnaire tombeu frappé d'uneu balleu ……..» et, nous on courait à coté d'eux en faisant le salut militaire. On essayait, parfois, de défiler devant les militaires, en balançant les jambes bien raides, le plus haut possible ainsi que les bras . On se faisait dégager, vite fait, par la police. Les gens riaient et applaudissaient.
Toutes les armées d'Afrique avaient quelque chose de particulier ce qui les différenciaient avec les autres corps d'armée. On était fier de l'armée française.
Pour nous enfants, on avait une admiration sans retenue pour tous ces militaires qui défilaient avec le magnifique drapeau français bleu, blanc, rouge.
Après le défilé, les militaires avaient quartier libre avant de regagner leur caserne respective.
Certains étaient basés dans l'Oranie et ne connaissaient pas particulièrement Oran.
On savait très bien ce qui pouvait les intéresser. On les interpellait, souvent on se faisait rembarrer, parfois cela marchait. Alors commençait une longue négociation. Il faut dire, que notre argent de poche était rare, alors il fallait être ferme.
Un fois l'affaire conclue, direction rue de l'aqueduc. La rue de l'aqueduc n'était pas du tout une ruelle, mais une rue qui partait de la rue des jardins pour déboucher presque vers l'église St Louis, elle était l'équivalente de la rue St Denis à Paris, mais avec des maisons closes.
Je me souviens avoir mis un certains temps, dans mon innocence, avant de comprendre pourquoi il se formait une si longue queue de marins américains lorsque nous avions la visite de la flotte américaine en méditerranée.
Des maisons closes, ils en existaient d'autres à Oran, plus huppées, comme « la villa des roses » ou « la villa Manon ».
Une fois les affaires réglées, avec quelques sous en poche, on revenait très vite au centre ville pour s'acheter les quelques friandises que nous aimions tant.
Mais aussi pour profiter de cette fête nationale.
En ville, c'est le charivari des véhicules, les remous de la foule qui « fait le boulevard » sous les arcades de la rue d'Arzew, mais aussi de Gambetta à la place d'armes, de la rue de la vieille mosquée à la rue de la révolution, de la place de la perle dans les vieux quartiers aux premiers escarpements de la route des planteurs.
C'est aussi, le tintement des verres d'anisette, le battement des petits cireurs qui martèlent, à qui mieux mieux, leur caisse à cirages.
Ce sont les discussions interminables , accompagnées de grands mouvements de bras, dans lesquelles les gestes supplantent souvent la parole. On y parle, le français, l'arabe, l'espagnol, l'hébreu, et on mélange toutes ces langues afin d'en tirer l'expression la plus typique à l'oranais.
C'est aussi une palette d'odeurs culinaires : brochettes d'abats et de viandes grillés à la braise, escargots et moules à la sauce au cumin, crevettes bouillies au fenouil. Cela embaume l'atmosphère, ça imprègne les vêtements, ça excite les papilles. Et par dessus tout ça, il y a , des éclats de rire, des éclats de joie, et des jolis minois qui font mine d'ignorer les compliments échauffés des hommes éblouis.
On se trouve transporté par un enthousiasme et une joie de vivre qui tiennent de l'enchantement.
C'était fête nationale à Oran.