La bataille de St Pierre
Ce récit est sorti de l'imaginaire. Un imaginaire assez proche de la réalité, car ces bagarres ont bien eu lieu et les personnages de ce récit ne sont pas le fruit de l'imagination car ils sont bien réels.
En parcourant mon dictionnaire des « batailles célèbres », je découvre l'existence de
grandes batailles qui se déroulèrent à Oran dans les années 50. Pour moi, les plus célèbres sont celles du quartier St Pierre dont je veux évoquer le souvenir aujourd'hui dans le respect des évènements Ces batailles mettent aux prises deux bandes du quartier qui s'opposent depuis toujours. Il s'agit d'une part de la bande à Mathias et celle dite « la compagnie du soleil » de la rue Bernardin. Il est important de vous conter une de ces batailles qui en dit long sur les deux protagonistes.C'était un mois de juin et un match de football fut organisé sous la forme d'un championnat inter quartiers. Ce jour là le match opposait la rue Bernardin à la rue de l'Abricotier sur le terrain de l'ancien stade de l'USMO. L'équipe de la « compagnie du soleil » est composée d'Habib, Marcel, Gérard, Christian, Etienne, de certains tchanclas dont je tairai les noms et des deux merdeux Ouafi et Jacky. La rue de l'Abricotier l'emporta par un but à zéro grâce un but marqué de la main. Le but fut marqué de la main me direz-vous ? Mais que faisait l'arbitre ? Malheureusement, il n'a pas pu siffler la faute, flagrante pour les spectateurs, car à cet instant il était occupé à chercher sur le terrain le pois-chiche qui vibre pour produire le son strident de son ustensile. En effet, celui-ci usé par une forte utilisation était sorti de sa cage. L'instrument était, alors, inutilisable. Inutile de dire que les gars de la « compagnie du soleil » demandent une revanche qui ne leur sera pas accordée. Je me garderai de juger ces faits historiques au parfum fantaisiste mais force est de reconnaître qu'ils sont à l'origine de ce que je m'en vais vous conter et que nous allons découvrir ensemble.
Dès le lendemain, la « compagnie du soleil » se considérant lésée adresse une déclaration de guerre aux autres. Pour gagner du temps, la déclaration manuscrite est expédiée avec un stac. On bat le tambour et la samboumba au beau milieu de la place « Zoche ». Les préposés sont installés sur la margelle de la fontaine centrale afin de prendre un peu de hauteur tant la situation est grave. Les deux quartiers sont en ébullition et les préparatifs vont bon train.A la lecture des archives il semblerait que le choix du terrain neutre sera imposé par un tirage au sort. Celui-ci effectué par « Méméne » la Miss St Pierre, il en résulte que la « montanica » sera le champ de bataille, ce terrain qui sera occupé plus tard par la cité Perret.Et nous voilà sur ce champ de bataille. Elle sera contrôlée par un comité de surveillance composé d'élus des deux quartiers mais aussi complétée par deux anciens officiers de l'infanterie mis à la retraite par anticipation pour avoir utilisé des chameaux lors du marathon de Saïda à Tiaret l'année dernière. . Enfin, le comité est présidé par un élu de chaque quartier en guerre. Pour la rue de l'Abricotier il s'agit de Monsieur Germain Soler dit « camenbert » et pour la « compagnie du soleil » le choix s'est porté sur Monsieur Sylvain Korchia, et le tout sous la haute présidence du maire d'Oran : monsieur Henri Fouques-Duparc.Le champ de bataille est délimité puis divisé par un tracé irréprochable à la chaux. Il faut éviter les débordements et permettre aux spectateurs d'assister à la bataille en toute neutralité. Des règles sont établies comme par exemple : chaque combattant doit être chaussé d'espadrilles achetées chez Anton rue Dufour ou en cas de débandade utiliser les jambes à son cou et non pas de véhicule, comme le carrico, pour descendre les pontes abruptes de la montanica. L'ordre du début du combat est prévu à 10h30. La fin du combat est programmée à 12h. Chaque armée est composée d'une bande de mocosos, de bolosos, de bavosos et de bouffeurs de calentica, de makrouds, de montécaos, de melsa, de tchumbos …. Les soldats de la « compagnie du soleil » sont armés d'épées en bois dont le fournisseur est le père de Lucien Tovar mais aussi l'ébéniste de la rue monsieur Sicsou avec son éternel bob américain sur la tête. Ceux de la rue de l'abricotier, la colonne de gauche est armée de couvercles empruntés à toutes les poubelles de la rue de l'Abricotier et d'immenses barres de fer récupérées dans le stock des rebus d'un ferrailleur. A 10h30, l'ordre de combattre est donné. Les soldats de la « compagnie du soleil » agitent les épées dans l'espoir de blesser l'adversaire alors que ceux de la rue de l'Abricotier, attaquent barres de fer aux mains comme les lanciers du Bengale tout en se protégeant derrière le porteur du bouclier. Bouclier formé par le couvercle des poubelles qui offre l'avantage au porteur de pouvoir se protéger des coups d'une épée en bois. Après 30 minutes de combat, la bataille cesse faute de combattants. Le jury accorde le match nul.
Plus tard, les frères ennemis d'hier travailleront ensemble pour améliorer les relations entre les deux rues pour le bien être des habitants du quartier St Pierre. Mais je ne peux vous dire qu'elles furent les conséquences de cette bataille dont tous les Oranais parlent encore, devant l'anisette et la kémia, avec des trémolos dans la voix. Moi-même, j'en ai toujours les larmes aux yeux.