L'arrivée à Istres
Après 2 heures de vol dans un silence quasi religieux, l'avion de la SWISSAIR s'était posé vers 21 heures sur la base militaire d'Istres.
En vol, vers la fin du voyage l'atmosphère s'était tendu après une discussion houleuse avec nos gardiens qui ne voulaient pas nous renseigner sur notre destination. C'est l'hôtesse complètement effrayée par la tension qui régnait qui nous avait informé. Nous atterrirons à Istres. Certains d'entre nous avaient été malades, heureusement l'hôtesse s'était dévouée au maximum.
En fin de vol, nous avions découvert les côtes de France avant de nous poser très vite sur la base d'Istres où stationnaient de nombreux appareils de chasse. La piste était quadrillée par des hommes en armes.
A la descente d'avion, nous avions été surpris par la température, il faisait bien plus froid que chez nous. Déjà une grande différence.
En quelques instants, nous avions compris que nous étions "attendus" et je ne pus m'empêcher de me dire que l'accueil de la métropole avait été différent lorsque nos grands-pères et pères avaient foulé le sol Français durant les guerres 14-18 et 39-45 ..... je ne pus m'empêcher de songer au triomphal accueil de nos pères libérateurs du territoire national avec l'Armée d'Afrique. Par contre, nous les petits-enfants et enfants nous n'avons pas eu droit au même accueil.
La descente de l'avion s'était faite entre une allée d'honneur d'hommes lourdement armés et casqués avec une mine pat hibulaire mais on avait vu bien pire à Oran que ce cordon de CRS. Certains d'entre nous n'avaient pu s'empêcher de les narguer.
Très vite nous avions été dirigés vers un bâtiment pour être rassemblés dans une salle où des officiers derrière des tables nous distribuèrent notre affectation avec un discours de dupe:
- alors jeune homme dans quelle arme aimerez-vous faire votre service ?
- je ne sais pas (quelle importance)
- décide toi ou je t'affecte n'importe où
- la marine (après une brève réflexion)
- voila c'est très bien .......... 15ème BCA
Bon nombre d'entre nous découvrirent qu'ils étaient envoyés en Allemagne. Mon premier réflexe avait été de me renseigner car les initiales m'avaient paru bizarre pour la marine. Un gradé avec un large béret m'avait appris que ma garnison se trouvait à Modane en Savoie et que mon corps d'armée était les chasseurs alpins. Sans commentaires.
Il devait être 23 heures, après avoir reçu notre parquetage, lorsque nous avions mangé avant d'être dirigés vers des bâtiments cernés de haltracks où nous avions passé notre première nuit d'exilés.
Que de choses s'étaient passées en une seule journée. Le matin encore, j'étais chez moi avec mes parents et mon frère, dans mon quartier, dans ma ville, dans mon pays !
Le lendemain, aux aurores, nous avions été hissés dans des GMC direction Lyon pour certains, pour les autres .... ? Nous avions le sentiment confus que nous étions fautifs, fautifs de quoi ? ....... d'être de jeunes oranais tout simplement.
Au départ, au moment où les camions s'étaient ébranlés vers la destination de chacun, des chants s'étaient élevés de tous les camions " ce n'est qu'un au revoir mes frères, ce n'est qu'un au revoir, oui nous nous reverrons, mes frères"
Nous nous reverrons jamais !
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