L'enfant de coeur.
Les fonctions d'enfants de chœur étaient assorties de quelques avantages et d'obligations dont nous nous serions bien passé. Au nombre de celles là, figurait le service de la messe de sept heures. Nous entrions à l'église par la petite porte de la sacristie où, dès l'âge le plus tendre, monsieur le curé nous initiait aux gestes liturgiques et au latin des prières de la messe .Nous assurions le service de la messe à tour de rôle. Nous devions arriver très tôt pour remplir les burettes, allumer les cierges et revêtir la soutane rouge. Au son de la petite clochette qui annonçait le début de l'office, nous marchions les premiers, précédant le curé qui portait le calice.A quelques années de distance je ne suis plus très sûr que notre jeunesse était réjouie d'un lever aussi matinal et nous aurions préféré, je crois, sacrifier à Morphée d'aussi précieuses minutes !Nos artifices de couturière nous plaçaient parfois dans des situations périlleuses. Quand nos excès de soutane sortaient de nos pantalons, nos pieds s'empêtraient dans le tissu et nous devions retenir les plis de l'habit liturgique tout en transportant le missel, en présentant les burettes, en maniant l'encensoir ou en portant le bénitier. Il nous est arrivé de dégringoler des marches de marbre de l'autel, les bras chargés d'un écrasant porte-missel et de nous affaler dans le chœur dans un mélange de latin, de billes, et de fous rires... La quête venait rompre la monotonie des incantations. Nous nous disputions le privilège de parcourir les allées pour tendre la bourse aux paroissiens. Le geste de la sébile tendue provoquait des réactions assez variables. La plupart versait leur obole d'un geste machinal sans même nous regarder. Certains usaient de subterfuges variés pour échapper à l'impôt paroissial. Ils fouillaient dans leur poche ou dans leur sac à la recherche d'une introuvable pièce de cinq centimes mais notre obstination était toujours plus forte. D'autres plongeaient leurs doigts au fond de la bourse pour faire tinter les sous et faire illusion.
D'autres enfin s'abîmaient dans une profonde prière, la tête entre les mains... mais notre perfidie nous poussait à leur mettre la corbeille sous le nez pour les contraindre à s'exécuter ou à confesser qu'il n'avaient pas de sou.Les enfants de chœur se livraient une guerre sans merci pour occuper le côté droit de l'officiant, celui de la clochette. Nos chuchotements, nos mimiques et parfois nos bousculades avaient le don d'exaspérer le curé . D'un geste et sans bouger une ride à son visage contemplatif, il nous donnait des coups de coude qui nous ramenaient à la raison.Le maniement de la clochette constituait un art musical... qui en valait bien d'autres.
On tenait la clochette à bout bras et dans un aller et retour on la faisait sonner violemment pendant que toutes les têtes du premier rang se baissaient pour éviter de recevoir, éventuellement la clochette en pleine figure La messe finie, les plus pressés des paroissiens sortaient discrètement. Notre esprit s'évadait déjà vers la salle paroissiale où se préparait une séance de cinéma.
Nous n'avions pas de télévision, nos jouets étaient faits de roulements à billes et de caisses à savon, les marchands de calentica nous tenaient lieu de Mac'Do, mais nous étions des enfants de chœur... HEUREUX !