La vengeance est ....
Nous sommes place des victoires, la station de taxi était le baromètre de la place. Kader était le laveur attitré des taxis, sa peau de chamois faisait de vrais miracles et les tractions avant, la grande majorité des taxis, rutilaient sous ses doigts. Le nettoyage des véhicules sur la place était interdit. Kader était notre allié et on le lui rendait bien. Aussi dés qu'apparaissait un képi à un bout de la place on fonçait avertir, Kader, son seau et sa peau de chamois disparaissaient comme par enchantement. Les chauffeurs c'était bien autre chose. Le pire de tous était Ramon, un espagnol rondouillard, un mètre soixante, une fine moustache, les cheveux gominés, laissant traîner derrière lui une forte odeur de patchouli. Pour nous, « un homme qui met trop de sent-bon c'est un homme qui ne se lave pas souvent ». Lors d'une partie de « tu-l'as » , j'étais sur le point de rejoindre François-Lou, il s'était glisser entre deux taxis et pour prendre son élan, il avait appuyé « oh sacrilège ! » sa main sur l'aile avant droite d'une traction. Ramon l'avait cueilli, au vol, comme un sac de linge sale, ses jambes moulinaient dans le vide, et quand elles reprirent contact avec le trottoir, l'affreux lui décocha un magistral coup de pied aux fesses. Kader s'était interposé, ce qui nous avait permis de prendre la poudre d'escampette. Aujourd'hui, pas de jeu mais un plan de bataille pour punir Ramon.
- il faut punir Ramon par où il a pêché, commença Francis
- c'est-à-dire ?
- on badigeonne son taxi de merde
Dès qu'il s'agit d'excréments Ouafi était partant, c'était un scato logue hors pair. Marcel n'était pas d'accord.
- c'est pas une bonne idée, on va se faire pincer tout de suite, ça prend du temps de barbouiller de crotte sa voiture et si c'est pour mettre juste une petite trace ça vaut pas le coup
- Ouai et puis le plus puni ne sera pas Ramon mais Kader qui va se taper le sale boulot
- faut lui tendre un piège une vraie embuscade comme les indiens avec les Cow-boy s'exclame José
- tu lis trop Kit Carson José, mais en y réfléchissant bien …
- il faut qu'il y est de la merde (Ouafi et son idée fixe)
- une attaque par le sol et par les airs, cette fois c'est Christian qui s'exprime
- et tu le sors d'où l'avion ?
- qui te parle d'avion, bourricot, par les terrasses
L'idée de badigeonner son taxi avec des excréments avait été abandonnée.
- alors qu'est-ce qu'on fait
- un coup de stac et on en parle plus
Le stac, c'était le lance pierre oranais, sa fabrication était tout un art. Le manche était en olivier, bois dur par excellence, il fallait choisir une belle fourche bien symétrique, une fois l'écorce enlevée, on l'oubliait quelques jours dans un endroit bien sec. Il était fortement recommandé, ensuite, de le passer à la flamme pour faire évaporer l'humidité et renforcer la rigidité. Deux petites entailles au bout de la fourche allait permettre de fixer de fines lanières de cuir repliées en deux pour faire une boucle où venait se glisser l'élastique brun, carré. Un rectangle de cuir robuste et souple dont il fallait arrondir les angles, venait se fixer à l'autre bout du caoutchouc. Le stac était une arme redoutable, même pour celui qui s'en servait, car si, comme certain besugos (personne qui louche), tu mettais ton pouce au centre de la fourche, ton doigt ramassait le projectile et ressemblait à un tchumbo (figue de barbarie) bien mûr.Nos parents n'aimaient pas, mais alors pas du tout, que nous soyons en possession d'un lance pierre. Il se fabriquait donc, en cachette, et pour mieux le dissimuler, se portait autour du cou, comme un chapelet, sous les vêtements. La décision prise, il fallait trouver le bon projectile. L'entraînement avec de vieilles ampoules, au petit jardin, était sérieux et les projectiles nombreux. Les galets étaient efficaces, mais ils cabossaient et l'impact était très bruyant. Les noyaux de nèfles et d'abricots prenaient des trajectoires bizarroïdes. Les fruits de ficus étaient bien ronds, mais s'écrasaient sur l'ampoule sans la briser. Nous commencions à désespérer quand Ben Baruk sortit de sa poche des petites boules noires.
- on ne va pas tirer avec des billes, c'est pareil que les pierres
- mais ce ne sont pas des billes, ma mère s'en sert pour faire la lessive
- c'est quoi ?
- elle appelle ça du sapindus
- donnes ! s'écria François-Lou
il avait sorti son stac et, « plof », l'ampoule avait cédé dans un bruit mat et étouffé. C'était gagné, la boule de sapindus, était élue à l'unanimité. Cette boule était le noyau du fruit du sapindus, elle était utilisée pour le lavage des linges. Ce soir là, il n'avait pas beaucoup de personne sur la place des victoires et les chauffeurs de taxi étaient regroupés en tête de la station de taxi et comme à l'accoutumée discutaient à haute voix avec de grands gestes pour souligner leur phrase. La nuit commençait à tomber et la place n'était pas encore éclairée. Nous nous étions faufilés dans l'immeuble qui surplombait la station de taxi, direction la terrasse au dernier étage.
- qui prie pour que la porte de la terrasse ne soit pas fermée à clef ?
- je vais appeler Allah, répondit Ouafi
Je ne sais pas qui avait fait une prière, mais par miracle, la porte n'était pas fermée à clef. De là-haut, on avait une vue idéale sur la station de taxi.
- attendons encore un peu qu'il fasse un peu plus nuit.
- putain, on aurait du amener une fille
- laquelle ?
- Nénica Korchia
Des rires fusèrent (vous comprendrez par ailleurs pourquoi)
- chut, la putain, on va se faire prendre
- préparez-vous, on y va
François-Lou bandit le stac, armé d'une boule de sapindus. Splash ! Il s'ensuivit une véritable attaque en règle sur la traction de Ramon, une pluie de boules de sapindus. Les chauffeurs de taxi avaient accouru vers leur véhicule et après un moment de stupeur, ils avaient commencé à glousser, timidement d'abord, puis ils avaient exploser de rire. Ramon jurait en français, en espagnol, en arabe, mais ……. Ramon avait été puni. Ramon et son taxi avait disparu de la place des victoires, certaines méchantes langues prétendaient qu'il était parti dans une autre station de la ville ou sur la capitale Alger où paraît-il les gens étaient plus corrects.