Oran, une Ville, une Vie.

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Les événements

Les événements sont venus contrarier ce qui aurait pu se poursuivre encore de nos jours.

Il est très facile de faire la critique de l'histoire, plus de cinquante ans après mais on ne peut oublier les faits vécus et encore moins les sacrifices inutiles.

C'est vrai que je n'avais 17 ou 19 ans, mais comme dans tous les types de conflit, les jeunes sont entraînés et ils se trouvent engagés dans un mouvement qui leur mange leur adolescence.

Il y a eu un engagement de ma part parce que  je me suis retrouvé, par deux fois, là où je n'aurais pas du être.

Cette adolescence m'a valu un premier séjour dans les sous-sol du collège Ardaillon.Cette arrestation a eu lieu sur le parcours que j'empruntais tous les jours pour mes études.

Nous étions quatre copains à nous diriger vers notre établissement scolaire, et j'avais bien vu une patrouille de CRS, mais à ce moment là je ne me méfiais pas, je n'avais rien à me reprocher. Ils nous sont tombés dessus et embarqués à leur QG le collège Ardaillon. Les bousculades ont commencé dès l'embarquement dans le camion. Nous avions affaire à des « supers héros », vingt hommes bien équipés contre quatre jeunes. Arrivés au collège, le « déchargement »  a eu lieu  par des poussettes dans le dos et par le passage entre deux lignes de ces messieurs qui s'en donnaient à coeur joie.Dans le collège, nous avons rejoint une cinquantaine de personnes qui étaient assises sur le milieu de la cour. Il était environ 9h, et il nous ont laissé au soleil jusque vers 11h, avec de temps en temps et suivant leurs humeurs, des brimades ou de coups de pieds pour certains.

Que s'est-il passé exactement ? Je ne saurai le dire encore aujourd'hui mais un autre détachement de CRS a envahi la cour du collège, il y a eu des discussions avec les premiers, discussions plus qu'animées entre eux et finalement les seconds arrivés nous ont embarqués de nouveau dans les camions pour nous relâcher devant le square Garbé  à peu près où avait eu lieu l'arrestation quelques heures plus tôt.

Début d'année 1962, j'étais avec d'autres amis quand tout le périmètre de la places des Victoires a été bouclé par les gardes mobiles. Une chasse à l'homme a commencé, ce n'était pas la première fois et à chaque fois je m'en étais bien sorti mais cette fois j'ai été surpris, ils nous sont tombés dessus en fonçant  avec un GMC et en nous mettant en joue. Sachant qu'ils étaient près à faire n'importe quoi, y compris de tirer, sachant aussi qu'ils jouissaient d'une certaine impunité, que pouvions-nous faire ? Là, des menottes bien serrées et d'une façon des plus vicieuses qu'il soit : les chevilles aussi étaient entravées par une paire de menottes qui croisait celle des poignées. Il ne nous restait qu'une position possible, assise le dos bien rond. Pour nous embarquer, une seule méthode pour les « héros », nous prendre à deux et nous balancer dans un half-track.

Le voyage jusqu'à Ardaillon, où les gardes mobiles avaient remplacé les CRS, n'a été que bousculades, insultes et même l'un des salauds avait voulu nous uriner dessus sous les rires des autres. Un peu d'humanité quand même pour nous débarquer et ne pas se salir, ils nous ont ôté les menottes des chevilles mais cela n'avait pas empêché des coups de tomber dans ce qui était le fond du réfectoire. Nous avions eu l'ordre de nous déshabiller pour la fouille. Les intimidations ont continuées en cherchant à nous pousser avec le canon d'un fusil. Arrivés dans la cour, nous avons eu droit à une bordée d'insultes. Tout ce que nous pouvions avoir dans nos poches avait été détruit à coups de crosse et de rangers. 

Après s'être rhabillés, nous sommes montés au premier étage, et nous devions entrer un par un dans une salle de classe. Là, nous attendaient « d'autres glorieux personnages », un croc en jambe et nous étions plus qu'à leur merci.

Cette salle de classe avait une plaque commémorative pour un professeur mort pour la France au cours de la dernière guerre . Quelle ironie.

Vers les cinq heures de l'après-midi, c'est une estimation car je n'avais pas de montre, ils sont venus chercher l'un d'entre nous et, une demi-heure plus tard un autre …..Ils parlaient entre eux mais de façon à ce que nous entendions bien ce qu'ils racontaient : « Il n'a pas voulu parler, tant pis pour lui de mourir aussi bêtement ». De  telles phrases dans la bouche de ces énergumènes, je garantis que cela fait peur, mais à ce moment là je ne pensais qu'à mes parents et à leur inquiétude si je ne rentrais pas.

A mon tour de les suivre jusqu'au dortoir du deuxième étage, là sont installés en vrac des tables de salle de classes, les lits dans le même état, l'odeur du tabac froid enveloppe la pièce. Je sais que l'on peut dire que j'en rajoute, mais il a des images que je ne peux oublier et celles-là sont plus que gravées.

Ces hommes courageux, défenseurs de la patrie, revêtus de l'uniforme français attachaient un homme très âgé, bras et jambes écartés, à l'armature d'un ensemble de lits. Cet homme m'avait jeté un regard d'un bleu très profond par dessus son épaule. Il semblait me dire : "courage petit".  Avant de me poser la première question, c'est un bon coup de rangers sur les pieds et une gifle bien appuyée dans le dos «  Bravo, messieurs, la France peut être fière de vous, vous avez fait du bon boulot, vous méritez des médailles ».

Malgré la douleur, je ne baissa pas la tête et je fixa droit dans les yeux ce courageux au faciès de bovin, ce rougeaud à l'haleine alcoolique. Je ne me rappelle pas très bien qui a baissé le premier les yeux mais j'ai envie de dire que c'est lui.

Après un relevé rapide d'identité, c'est une série de question sur des personnes ou des lieux et à chaque réponse négative, c'est-à-dire toutes, les coups pleuvaient . Contrairement à ce que l'on peut penser, dans ces moments là, une certaine force peut nous habiter, en effet, même si on avait reconnu quelqu'un sur une photo, on ne dénonçait pas un frère, une victime de l'histoire, car les autres d'en face ne le savaient pas, ils avaient à faire aussi à des français … fiers et courageux. Celui qui était recherché ne devait pas être trahi, et puis c'était aussi une revanche silencieuse face à ces brutes.

Combien de temps dura cette séance ? Le temps fut long au début, mais après, qu'elle importance peut-on donner au temps ?

Mon inquiétude pour mes parents allait grandissant de plus en plus.

Une vieille gourde pour boire un peu, et retour dans une autre salle de classe.

A 19h, une soupe ( ?), du pain, et du maquereau au vin blanc nous fumes servis : « le festin » , merci la France pour ta générosité.

A peu près une heure plus tard, deux gardes mobiles étaient venus nous chercher. Ils nous avaient retiré les menottes et nous avaient demandé de sortir d'Ardaillon par la grande porte. Pendant qu'un garde mobile marchait à coté de moi, il sentait la sueur et puait l'alcool, son pistolet à la ceinture, la tentation était trop forte et j'avais toujours en tête le regard triste de la personne âgée.

C'est fou, cette sensation qui vous remonte jusqu'au fin fond de soi, cela fait mal, mais à ce moment de révolte une certaine sagesse vient vite vous envahir et une alerte vous vient très vite : « pense à tes parents ».

Arrivé à la cour, j'ai croisé une personne en uniforme et je le connaissais bien. En effet, il avait été notre voisin de quartier un soi disant ami des gens qui lui avaient donné leur confiance et leur fraternité, et lui aussi me connaissait bien. Cela faisait peut-être un an qu'il avait quitté notre rue, on pensait qu'il avait regagné la métropole.

Je pense qu'il m'avait fait libérer, mais je lui ai, seulement, froidement demandé : « pouvez-vous me faire sortir par une porte derrière le collège et non par la grande porte , » où je n'aurai eu aucune chance de parvenir jusqu'au quartier européen ou alors …… avec une balle dans le dos.

Une fois sorti, je m'étais mis à courir à perdre haleine jusque chez moi, non pas parce que j'avais peur mais…. pour éviter de me faire  « engueuler » par mes parents, Trop tard car ils s'étaient inquiétés depuis longtemps. Mais j'avais une excuse les gardes mobiles empêchaient les gens de passer.

Bien entendu, je n'ai jamais raconté mes courts séjours vécu avec les « SS de De Gaulle ».

Je suis sur que beaucoup d'entre eux doivent bénéficier de points supplémentaires pour la retraite, du fait de leur participation au « maintien de l'ordre en Algérie »….

Depuis ce jour, plus personne n'a levé la main sur moi.



26/07/2022
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