La rue D'Arzew.
Pour vous faire connaître ma belle ville d'Oran, il faut que je vous parle de sa vie, de son cœur de ville, de ses scènes de rue. Oran était une ville de bruits , de couleurs et de senteurs. J'aimais me promener dans ma ville, et la rue que je préférais par dessus tout était la rue d'Arzew. Cette rue était la plus animée et cela à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit... C'était la rue des commerces, des cinémas , des cafés, la rue des jeunes oranais et oranaises qui en prenaient possession à l'heure dite du" boulevard"...Dès le matin, les commerçants , aussi bien que les ménagères , jetaient de grands seaux d'eau contenant de la javel ou du grésil, et nettoyaient à grands coups de balai les trottoirs... Les persiennes et les fenêtres commençaient à s'ouvrir et je pouvais sentir l'odeur du café frais qui filtrait dans la cafetière en émail... Les cages des canaris et chardonnerets étaient suspendues aux balcons , et les oiseaux tout heureux de sentir sur leurs plumes les premiers rayons de soleil de la journée commençaient à chanter....
Les ménagères sortaient la literie et les tapis sur les rebords des balcons ou des fenêtres et les laissaient un moment s'aérer. Il n'était pas rare que j'entende alors des voix de femmes s'interpellant d'un balcon à l'autre, ou chantant la dernière chanson du moment... Nos braves mères de famille, un foulard sur la tête, se faisaient un point d'honneur à tenir dés le matin leur maison propre. Le ménage terminé, elles se préparaient à descendre pour aller au marché ou chez l'épicier du coin, car à l'époque peu de foyers possédaient un réfrigérateur. Aller au marché c'était l'occasion idéale de rencontrer soit la voisine, soit une amie et de faire un brin de tchatche en commentant les derniers potins... Les commerces de la rue d'Arzew ouvraient leur portes, les cafés préparaient les tables sur les terrasses. Je pouvais déjà sentir les odeurs de kémia qui se préparaient en vue de l'apéritif .. Tout au long de ma promenade dans la rue, je croisais les marchands ambulants qui commençaient leur tournée... Il y avait le marchand de glaces qui lançait son fameux "glace à la vanille, chocolattttttttttt", les petits arabes vendeurs de journaux, le fripier qui scandait" marchand d'haaaabit" "le marchand de calentica, le marchand d'oublis , le marchand de piroulis glacés, les marchands de brochettes d'abats et de sardines grillées, les marchands de beignets italiens roulés dans le sucre, et de gâteaux :les "zlabias au miel, les makrouds. Toutes ces odeurs offraient aux passants et promeneurs une palette variée. Je croisais les ménagères qui revenaient du marché, leurs couffins débordant de légumes et de fruits. C était l'heure de préparer le repas de midi pour toute la famille qui rentrait pour déjeuner. Et déjà je commençais à sentir s'échappant des fenêtres ouvertes, les odeurs d'oignons frits, des poivrons, des tomates en vue de la préparation d'une frita, d'une paëlla... Tous les parfums de la cuisine de "chez nous" qui sent si bon les épices.
L'après- midi, la rue d'Arzew était tout aussi animée. Vers 15 heures la vie reprenait, après la sieste. La municipalité ayant pris le soin de passer auparavant pour arroser les rues et les trottoirs afin de rafraîchir l'atmosphère. Les commerces remontaient leurs rideaux , les oranaises pouvaient se consacrer à leur passe temps favori: le lèche-vitrine, toujours à l'affût d'une affaire... Vers 18 heures, la jeunesse prenait possession de la rue.... C'était le moment de faire le "boulevard"... Les garçons et les filles se promenaient chacun de leur côté en formant des petits groupes. Chacun ou chacune espérait croiser la fille ou le garçon idéal. C'est le garçon qui en premier remarquait une jeune fille , et alors commençait le jeu de la "séduction". Un petit sifflement admiratif ou une petite phrase étaient dit au passage. La jeune fille rougissait et les copines s'esclaffaient de rire et faisaient ensuite en sorte que la rencontre puisse se faire ... Le petit manége pouvait durer plusieurs jours avant qu'il y ait vraiment rencontre et rendez-vous , car les filles étaient très tenues. Mais quelques fois cela pouvait aller très vite , mais les rencontres se faisaient sous l'escorte de chaperons pour les premières fois ... Il n'était pas coutume à l'époque que les filles fréquentent les cafés. Lorsqu'il leur arrivait de passer devant les terrasses de café , elles se faisaient siffler par les garçons qui étaient attablés. C'était l'époque des robes vaporeuses en vichy et des petits foulards , les oranaises se prenaient toutes pour des "BB" ; mais qu'elles étaient jolies , leurs jambes déjà bronzées dès les premiers jours de mai. La nuit tombée, Oran ne s'endormait pas pour autant. Les cafés restaient ouverts bien après la fermeture des cinémas, car l'oranais aimait bien pouvoir s'attabler à la terrasse d'un café pour prendre une glace ,une agua limon profitant ainsi de la fraîcheur de la nuit avant de regagner sa maison...
Oran pouvait s'endormir tranquille... La nuit sera chaude et courte .
La vierge de Santa -Cruz de là-haut veillait sur sa ville et sur ses habitants .... Demain sera un autre jour!