Oran, une Ville, une Vie.

Oran, une Ville, une Vie.

Oran vue par Yasmina KHADRA

ORAN

 

A nous la place d'Armes, avec son style rococo et sa mairie flanquée de deux lions en bronze hiératiques et colossaux ; la promenade de Létang ; la place de la Bastille ; le passage Clauzel où se donnaient rendez-vous les amours naissantes ; les kiosques glaciers où l'on servait les plus rafraîchissantes citronnades de la terre ; les cinémas fastueux et les grands magasins Darmon… Oran ne manquait de rien, ni de charmes ni d'audace. Elle s'éclatait comme autant de feux d'artifice, faisant d'une boutade une clameur et d'une bonne cuite une liesse. Généreuse et spontanée, il n'était pas question pour elle de se découvrir une joie sans songer à la partager. Oran avait horreur de ce qui ne l'amusait pas. La mine défaite lèserait sa superbe, les pisse-vinaigre terniraient ses humeurs ; elle ne supportait pas qu'un nuage voilât sa bonhomie. Elle se voulait rencontre heureuse à chaque coin de rue, et kermesse sur ses esplanades, et là où portait sa voix fleurissait l'hymne à la vie. Elle faisait de la jovialité une mentalité, une règle fondamentale, la condition sans laquelle toute chose en ce monde serait un gâchis. Belle, coquette, consciente de la fascination qu'elle exerçait sur les étrangers, elle s'embourgeoisait en catimini, sans fard ni fanfare, convaincue qu'aucune bourrasque – pas même la guerre en train de l'éclabousser – ne saurait freiner son essor. Née d'un besoin de séduire, Oran c'était d'abord le chiqué. On l'appelait la Ville américaine, et toutes les fantaisies du monde seyaient à ses états d'âme. Debout sur sa falaise, elle regardait la mer, faussement languissante, rappelant une belle captive guettant du haut de sa tour son prince charmant. Pourtant, Oran ne croyait pas trop au large, ni au prince charmant. Elle regardait la mer juste pour la tenir à distance. Le bonheur était en elle, et tout lui réussissait.

 

Yasmina KHADRA

(Ce que le jour doit à la nuit)



09/10/2012
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