Alexandre
Comme tous les matins, nous occupions nos journées de vacances à jouer au foot rue Damrémont. Ce jour là, un garçon s'était mis un peu à l'écart pour nous observer. On lui avait fait un signe pour nous rejoindre, mais sans bouger il était resté dans son coin puis il était parti comme il était venu sans un mot sans une parole. C'était la première fois qu'on le voyait mais son attitude nous avait paru étrange mais c'est surtout son visage triste et son allure de chien battu qui nous avait interloqué.
Plusieurs jours étaient passés avant de le revoir et il avait toujours l'air aussi triste. Nous avions réussi à l'approcher et entamer une conversation avec lui sur des banalités. On le sentait sur la réserve, mais nos exubérances et parfois nos pitreries avaient réussi à lui arracher un sourire mais très vite sa tristesse revenait sur son visage un peu enfantin. On se doutait que ce garçon portait en lui un douloureux secret et on avait décidé de l'aider mais que s'il y en avait envie. Notre gentillesse et notre sollicitude avaient réussi à l'apprivoiser et petit à petit il s'était confié à nous.
Il avait été recueilli chez sa tante avec sa petite soeur suite au décès de ses parents. Ils habitaient dans une ferme à Palikao jusqu'au jour où un terrible drame s'est produit, les fellaghas s'étaient introduits à la ferme et avaient égorgés hommes et femmes. Sa petite soeur et lui ne durent leur salut que lorsqu'au moment de cette tuerie ils se trouvaient à l'école. Ces événements nous avaient bouleversés et longtemps on ne put oublier Alexandre.
Alexandre n'avait qu'une idée en tête : venger ses parents. Cette idée l'obsédait et nous, elle nous terrifiait. Certains avaient gagné sa confiance, pas tous. Je faisais partie de ceux auxquels il avait donné sa confiance et il se permettait de nous raconter comment un jour il vengerait ses parents. Pour l'instant, sa priorité était de cacher un révolver avec des balles qu'il avait pris soin de ramener dans sa valise ( ?). C'était l'arme de son père.
Depuis toujours, on avait nos cachettes et l'endroit le plus sûr était les voies ferrées au dessus du pont St Charles. En contrebas des voies, sous de grands arbres on pouvait retourner la terre et enfouir nos secrets, cette cachette était sûre. C'est là, qu'on avait aidé Alexandre à cacher son arme.
Puis les visites, d'Alexandre à la rue Damrémont, s'étaient faites de plus en plus rares. Et plus rien, plus de ses nouvelles, il semblait avoir quitté le quartier.Bien plus tard, à l'épicerie au dessous de chez nous, mon père a rencontré sa tante. Je n'avais pas suivi leur conversation mais le visage de mon père était devenu grave. Le regard de cette femme s'était porté sur moi, elle avait les larmes aux yeux. De retour à la maison, mon père parlait à voix basse à ma mère et j'avais très vite compris ……. Alexandre s'était pendu.
De retour à la ferme de ses parents avec sa famille pour récupérer des affaires personnelles, il avait échappé à la vigilance des siens. Il avait été retrouvé pendu dans la grange.
Sa disparition nous avait bouleversé, une famille entière décimée par la lâcheté et la barbarie de ces assassins.
Bouleversés, nous en voulions aux assassins par qui le malheur est arrivé. Ces barbares sans foi ni loi qui n'hésitaient pas à tuer, à massacrer, au nom de quoi ??? Toutes ces victimes innocentes, tombées sous les mains de ces monstres.
Maintenant, on pouvait comprendre le mot : vengeance. On voulut savoir, si l'arme caché était toujours là. On retrouva bien le pistolet mais Alexandre avait pris le soin d'enlever toutes les balles.