Avant la rentrée des classes.
Nous étions à quelques jours de la rentrée des classes et j'étais un peu angoissé à l'idée d'aller dans un nouvel établissement. Je ne connaissais personne dans mon quartier qui fréquentait cette école. La plupart de mes camarades allaient à l'école Lamoricière. Depuis la maternelle j'allais à l'école Notre Dame du Sacré Cœur, établissement religieux situé rue de Mostaganem.
A Notre Dame du Sacré Cœur, j'avais compris qu'il était préférable d'exécuter sans défaillance le Notre Père et le Je Vous Salue Marie avant le début des classes. Un coup de clochette dont le tintement grêle nous effrayait pour nous faire se lever avant d'entreprendre nos prières. La maîtresse récitait des mots et nous invitait à répéter après elle. Un second coup de clochette nous invitait à nous rasseoir en silence. Les matinées se passaient dans l'angoisse.
Un peu plus grand, mes parents avaient décidé de me changer d'école au grand désespoir de madame Bordes, notre voisine du 2ème étage , amie de mes parents et institutrice à l'école Notre Dame du Sacré Cœur. Tant pis, après avoir eu mon frère comme élève, elle n'allait pas m'avoir.
Mes parents m'avaient inscrit à l'école Jean Macé rue Mirauchaux. Cette école ne faisait pas partie de ma circonscription , et pour justifier mon inscription, je devrai démontrer que j'en étais digne. Les élèves venant d'une école privée et surtout religieuse étaient considérés comme des éléments d'un niveau faible. L'école de la république était la seule à être en mesure de former des vrais citoyens.
Pour oublier cette prochaine rentée, il me fallait faire le plein de rigolade.
En pénétrant dans le magasin Korchia, Nénica comme à son habitude était perchée sur son tabouret derrière le comptoir face à la porte d'entrée.
En nous voyant, elle avait prise sa plus grande voix pour essayer de nous intimider :
- qu'est ce que vous voulez ?
Pour toute réponse, elle avait eu droit à de grands éclats de rire.
C'est avec une voix encore plus aiguë :
- je vous paarleeeeeeeeeeeee
- on veut des bonbons dame
- allez voir Sylvain
- bonjour Sylvain !
- je n'ai pas le temps, qu'est-ce-que vous voulez ?
- des bonbons, revenez demain, aujourd'hui je fais l'inventaire
Une nouvelle fois des grands éclats de rire avaient fusé. Nous étions sortis en courant, mais nous allions préparer notre vengeance.
Nénica et Sylvain savouraient leur victoire, ils avaient réussi à faire fuir ces « maudits » gamins.
Après une courte concertation, notre plan fut vite élaboré. Ce jour était un jour de marché rue Dufour. Il était 10h, on avait le temps de bien se préparer.
Le petit marché de la rue Dufour, c'était des marchands ambulants qui se posaient au bord d'un large trottoir pour y vendre leur marchandise. Notre marchand était là. C'était un vieil arabe. Il vendait des œufs et des poules vivantes. Notre plan était de pouvoir attraper et se sauver avec une poule. Mais comment faire ? Il fallait éloigner le vieil arabe de ses poules. Tout à coup Ouafi s'était mis à rire pour nous dire :
- ça y est, je sais comment faire pour l'éloigner, suivez moi
- dis nous comment
- attendez et vous verrez, vous n'aurez plus qu'à prendre la poule
On avait suivi Ouafi jusqu'à la hauteur du marchand de poules. Il s'était mis à lui parler en arabe. Brusquement, il lui tourna le dos pour lui lâcher un gros pet sonore. Le vieil arabe, furieux, s'était mis à l'insulter en arabe et il partit en courant derrière Ouafi. Pendant ce temps François-Lou avait vite bondi sur la cage aux poules pour prendre une poule et la mettre sous son pull. Celle-ci poussait des cris. C'est en détalant comme des lapins qu'on avait réussi à prendre la fuite.
Maintenant il fallait récupérer Ouafi avant d'accomplir notre vengeance.
Celui-ci n'avait pas eu de mal à semer le brave homme. Il nous avait rejoint à la rue Damrémont et il ne nous restait plus qu'à accomplir notre œuvre avec la poule qui devenait gênante.
J'étais entré le premier dans le magasin Korchia sous le regard étonné et effaré de Nénica.
- j'y viens acheter des cigarettes pour mon tonton
Sylvain occupé avec des clients n'avait pas levé les yeux et monsieur Korchia père devait être à l'arrière boutique.
J'attendis que les derniers clients sortent pour leur emboîter le pas sans demander mon reste.
Il ne restait plus dans le magasin que Nénica et Sylvain. C'était le bon moment pour lâcher la poule dans le magasin.
Celle-ci apeurée, volait dans tous les coins en poussant des cris. En sortant, j'avais pris soin de bien fermer la porte du magasin. La poule n'avait plus d'issu pour sortir.
On observait ce qui se passait à travers les vitres. Nénica sautillait sur son tabouret les bras levés en poussant des petits cris. Sylvain au milieu du magasin essayait de donner des coups de canne à la poule. On savourait notre plaisir quant un client approcha étonné de trouver la porte fermée. Après un temps de réflexion, il se décida à entrer. Pour nous, il ne restait plus qu'une chose : prendre la poudre d'escampette une nouvelle fois.
On n'a jamais su ce qu'était devenue la poule.