Le Pacific
"Le Pacific" ... La lecture de ce simple mot, va réveiller un foule de souvenirs chez les oranais du quartier Saint Pierre très nombreux à avoir fréquenté ce bar sous cette enseigne.
Sa localisation, tout en haut, de la rue Beauharnais à la rue de Mostaganem. Son propriétaire qui a laissé un souvenir impérissable à tous ces clients assidus, quels que soient leur âge, leur confession, leur statut d'étudiant voire d'écolier avait pour nom "Franco", je n'ai jamais su son nom de famille.
Franco, c'était avant tout un physique, pas très grand mais puissant qui avait pratiqué la boxe avec un visage du bon grand-père toujours prêt à rendre service. Franco, un bosseur, un homme au caractère en or ; il ne s'est pas cantonné à sa fonction de cafetier et a su saisir l'opportunité de diversifier les sources de ses revenus en créant dans l'arrière-salle une salle de réunion pour les baptêmes, les communions et les mariages mais aussi à une époque une salle d'entrainement de boxe.
Franco n'engendrait pas la mélancolie et avait les dispositions pour tenir son rôle : le sens de la répartie, le mot pour rire, la raillerie facile, l'ironie en embuscade ! Sans oublier sa disponibilité et sa gentillesse (en mémoire les sandwiches et les boissons offerts aux appelés du contingent lors des quadrillages du quartier). Sa personnalité a été déterminante ce qui explique sa notoriété sur place.
Le "Pacific" était spacieux facilitant une répartition harmonieuse de la clientèle et l'accès aux appareils ludiques : flipper, baby foot, jukebox ......
Le flipper devenu une légende, qui lui appartenait et dont les mécanismes n'avaient plus aucun secret pour lui, surtout celui du "tilt" dont l'extrême sensibilité était revue à la baisse pour laisser aux plus habiles le soin d'exploiter leur savoir-faire en retardant au maximum l'arrêt brutal de la partie.
Le baby foot trônait au milieu de la salle et Franco organisait parfois un championnat d'équipes. Aux heures calmes de la journée, on mettait des chiffons au fond des buts pour éviter que les balles descendent pour ainsi les récupérer et les remettre en jeu ce qui amusait Franco.
Le plus fort contingent de joueurs, bien souvent des retraités, étaient ceux qui se retrouvaient autour d'une table pour des parties de cartes ; belote, "81", poker étaient les plus fréquemment pratiqués.
Aux heures d'affluence il y régnait un copieux vacarme mais dans ce brouhaha c'était le plus souvent les apostrophes et les rires qui s'imposaient; des petits groupes se formaient à l'intérieur, à l'entrée et sur le trottoir. Des occasions pour Franco, toujours en mouvement, de s'arrêter, de passer subitement la tête dans le cercle, de tendre l'oreille à l'orateur et de lâcher sa boutade avec son fameux sourire.
Bien avant et pendant ces heures d'affluence se dégageait une odeur de cuisine à vous éveiller les papilles. Les gens venaient au Pacific pour l'ambiance mais aussi pour sa kémia : escargots à la sauce piquante, les moules à l'escabech, les crevettes sautées à l'ail et au persil, les fèves au cumin, les olives cassées, les tramousses ou tramoussos (lupin), les troalicos (pois chiches torréfiés) etc .....
Mon unique souvenir d'un Pacific calme, pratiquement déserté est celui de chauds après-midi où nous trouvions refuge sous la surveillance de la femme de Franco que nous appelions affectueusement "Tantine" assumant une présence et qui, à la moindre incartade de notre part, ne manquait pas de nous balancer un grand chuuuuut !!!!!!
Le dernier souvenir que je garde de Franco est ce jour maudit du mois de mai 1962 où le visage défait et les yeux rougis par les larmes, il nous avait appris