Oran mai 1962, la dernière communion
En ce mois de mai, je me rappelle.
Avec le mois de Mai étaient revenus les cortèges immaculés des premiers communiants, et dans cette époque de violence et de haine, il n’y avait
rien de plus émouvant que ces enfants graves et recueillis, rayonnants de foi et vêtus de la blancheur des lys.
Parmi eux , se trouvait la petite sœur de mon ami Pierre DUBITON, amputée d'une jambe et qu'on portait dans le cortège de communiantes. Elle avait été l'une des premières victimes du "boucher d'Oran" le général KARTZ commandant du secteur autonome d'Oran qui avait donné comme consigne à ses troupes constituées en l'occurrence de gendarmes mobiles, "de tirer à vue sur tout Européen qui aurait l’audace de paraître sur une terrasse ou un balcon lors d’un bouclage ».
Les premières victimes du « boucher d’Oran » furent deux adolescentes de 14 et 16 ans qui étendaient du linge sur leur balcon. Elles furent tuées par les gendarmes. Par ailleurs, des projectiles d’une mitrailleuse lourde de 12/7 traversèrent la façade et fauchèrent dans un appartement, Frédérique DUBITON 13 ans, dont le père était tombé sous les balles d'un terroriste du FLN, atteinte à la jambe elle eut le nerf sciatique arraché et dut être amputée.
Pourquoi lui refuser, malgré l’atrocité de la situation, le droit à la robe blanche et à la douceur de la cérémonie ? Elle n’aurait pas compris, elle, petite victime innocente, qu'une nouvelle punition on lui imposait après tant de souffrances imméritées.
Alors, toute parée, superbe dans ces blancheurs d’étoffe qui l’entouraient comme d’un rayonnement de candeur, Frédérique, se sentait enveloppée d’amour, réchauffée par les sourires lumineux de ses voisins et amis qui lui témoignaient leur tendresse.
Et cette vision insolite de ces enfants encadrés de C.R.S !… parce que leur quartier étant bouclé par suite d’une perquisition générale, on n’avait pas le droit d’en sortir, sinon avec ces charmants messieurs. C’était grotesque ! Ces petites filles parées de blanc, se rendant vers l'église, ridiculisaient par leur innocence la faconde de ces matamores qui les accompagnaient d’un air soupçonneux. Pensez donc, si elles allaient emporter sous leurs voiles les tracts et les armes de l’OAS ! On massa les enfants, place de la Bastille, avec les mitrailleuses braquées sur eux et leur famille. Et le prêtre , sur le devant de son église, bénit les communiants en disant :
« Aujourd’hui, pour venir ici vous avez dû franchir les armées ,vous avez franchi les armées de Satan ! Ne l’oubliez jamais ! Que cela vous reste comme le symbole, l’exemple de ce que vous devrez toujours être prêts à faire : franchir les armées du démon pour venir à la maison de Dieu. »
Après cette déclaration, le prêtre fut arrêté…