Ramadan à Oran
Tous les ans, le Ramadan durait un peu plus d'une lune soit quatre semaines et un ou deux jours, le neuvième mois de l'année musulmane. Compte tenu d'un calendrier différent de celui des chrétiens, cette période de carême se déplaçait d'une année à l'autre, et était plus ou moins longue d'une journée. Pour le Ramadan les boulangeries fabriquait du pain spécial. Les musulmans appréciaient le pain en miche, quadrillée de quatre coups de rasoir , ou des couronnes dentelées. Quand le Ramadan tombait l'été, c'était la catastrophe : Ne pas boire, ne pas boire ! De l'eau fraîche, Allah, de l'eau fraîche ! Les femmes ne sortaient pas des appartements et préparaient les repas copieux du soir, sans pouvoir goûter ce qu'elles confectionnaient pour leur famille . Les hommes étaient assis sur les trottoirs de la rue ou sur les marches des escaliers Ils se déplaçaient lentement, à la vitesse du soleil, à la poursuite d'une ombre bienfaisante. Ils ne chiquaient pas le tabac de leurs petites boites rondes en fer brillant - celles-là même que nous utilisions pour jouer à la marelle avec les filles. Ils ne fumaient pas, non plus. Ils attendaient en silence, et en économisant au maximum leur énergie ; ils se protégeaient de la chaleur, certains avec un chapeau de paille cabossé sur la tête, d'autres préféraient la petite chéchia courte sans pompon, d'un rouge passé ou le turban blanc soigneusement noué.L'hiver n'était pas plus réjouissant. Le froid accentuait leur besoin de calories et la pluie qui tombait en cette saison, les empêchait de s'asseoir autour d'un jeu de dames ou une table de dominos, dans la rue. Ils patientaient dans des entrées d'immeubles en attendant le coup de canon salvateur. Au coup de canon, vers les dix neuf heures, en fait , au coucher du soleil, c'était l'explosion de joie. Les enfants chantaient, ici et là, les you-yous se faisaient entendre et les hommes, avant d'aller manger, allumaient leur première cigarette. Qu'elle devait être bonne, cette Bastos ! Quelle jouissance pouvait se lire dans les yeux brillants de leurs visages émaciés ! Après le repas, le recueillement et la prière, entre vingt heures trente et vingt et une heures, tout le monde sortait dans la rue pour s'amuser, rire et faire la fête. Nous ne nous faisions pas prier pour rejoindre les copains musulmans du quartier.La vie était revenue ! Nous nous racontions des histoires et écoutions, attentifs, les plus grands nous mimer le dernier Laurel et Hardy, ou Gary Cooper qu'ils étaient allés voir au cinéma. Et, arrivait le terme des quatre semaines. La fin du Carême se concrétisait par une fête : L'Aïd S'Rhir (ou Aïd F'tir). C'était jour chômé pour tout le monde. Mais les musulmans, eux, faisaient la fête et, c'était à qui montrerait ses plus beaux vêtements. Les garçons portaient des chemises et des pantalons tout neufs, les filles les plus beaux rubans, aux couleurs vives dans leurs cheveux roux passés au Henné et tressés. La paume des mains et la plante des pieds avaient été aussi teints en marron-orangé. Dans la rue, les pétards qui éclataient faisaient sursauter le distrait qui n'avait pas pris garde au petit rouleau de carton gris qui commençait à se consumer à ses pieds. Pour que les explosions soient plus puissantes nous allumions plusieurs pétards en même temps en les glissant à la sortie d'une gouttière en fonte. Nous n'épargnions pas la famille Korchia qui, bien que nous vendant les " explosifs ", était notre première cible ! J'étais toujours invité chez la famille de Ouafi pour partager leur repas, on se tapait un de ces couscous ! Je ramenais, aussi, pour mes parents et mon frère des gâteaux arabes : aux amandes, au miel comme les makrouds ou recouverts de fondant blanc ou roulés dans du sucre glace comme les cornes de gazelle… Cette fête terminée, nous attendions les suivantes : l'Aïd-el-kébir ou l'Achoura (Nouvel An) qui heureusement ne tombaient pas en même temps que les fêtes chrétiennes.